Un Collectif nommé Pas d’Enfant dans la Rue, ça ne devrait pas exister me direz-vous et pourtant il y en a un qui s’est monté à Tours.
Le fantasme et la réalité
Parfois nous allons vers des combats, d’autres fois les combats viennent à nous. C’est de cette manière-ci qu’est né le Collectif pas d’Enfant à la Rue, parce qu’il n’était plus possible de faire autrement pour ces enseignant-e-s de l’école Michelet, sous peine de perdre une partie de leur humanité.
Voir les enfants partir le soir pour aller dormir dans une voiture, dans une gare. Les voir arriver le lendemain de leur nuit, épuisés physiquement et nerveusement. Les enseignants de l’école Michelet, située dans le quartier Sanitas de Tours, ont décidé de passer à l’action pour la bonne et simple raison que personne ne l’aurait fait à leur place et qu’il n’était plus moralement possible de laisser les choses ainsi sans rien faire.
A une époque où se répandent des idées nauséabondes à longueur de plateaux télés avec des « spécialistes » dédouanant le plus souvent le gouvernement de ses réformes anti-sociales avec la mise en œuvre d’un récit mettant en scène des « profiteurs » d’un système social généreux et qu’il faut bien re-mettre dans le chemin de la productivité et de l’efficacité économique, les enseignants de cette école vivent la réalité de victimes d’un système en voie de désocialisation totale, que l’on a dé-mis de leur humanité et d’un système social à l’agonie, inaccessible, en miettes.
Voilà comment, à leur insu, des citoyens lambda que rien ne prédestinait à la lutte des classes se retrouvent en devoir de résistance. Simplement parce que la réalité peut frapper à la porte de n’importe qui et à n’importe quel moment et qu’il s’agit alors d’un positionnement en tant qu’être humain.
Alors que les médias bruissent de propos infamants, évoquant ici un « ensauvagement », là une « décivilisation » du dernier chic emprunté à la plus folle des extrêmes droites la question qui mérite d’être posée est la suivante : si ensauvagement ou « décivilisation » il y a qui en est le chantre ? Celles et ceux qui subissent la violence d’une politique toujours plus destructrice ou le gouvernement et ses complices qui, au mépris de toute justice, mettent en œuvre cette politique ?
Le choc des mondes
Le Mardi 23 mai le Collectif avait donné rendez-vous à l’école Michelet au cœur du quartier populaire du Sanitas à Tours. Le lieu est vétuste et accueille la population la plus pauvre de la ville. Il y flotte comme une odeur de délaissement institutionnel comme dans les lieux de services publics restant en France, entre suppressions de postes de fonctionnaires et injonctions toujours plus nombreuses. C’est pourtant Ici que dorment régulièrement des familles auxquelles les services sociaux ne peuvent plus assurer un lit. Après un temps de réunion pour expliquer la situation aux nouveaux venus et faire le point sur les démarches entreprises, tout le monde décide de se rendre sur la place Jean Jaurès dans un premier temps.
Une fois sur place il est décidé d’assister au conseil municipal qui a lieu au même moment de l’autre côté de la rue. A peine arrivé, le Collectif est reçu par le maire et son adjointe au logement. Ici – la salle des mariages – le cadre est somptueux, le plafond très haut, les murs richement décorés. Les paroles sont apaisantes, bienveillantes, encourageantes mais le sentiment qui domine est celui de deux mondes qui se font face, de deux réalités qui ne se comprennent pas vraiment. En effet, une maman explique avoir dormi plusieurs mois dans une voiture avec ses quatre enfants et la réponse donnée est administrative et hiérarchique. « J’en parlerai demain à Madame Borne », « je téléphone régulièrement à la préfecture ».
D’ailleurs, ce malaise entre deux mondes différents qui se font face s’amplifie lorsqu’un parent d’élève demande à ce que la municipalité se déplace à l’école pour faire un communiqué conjoint avec le Collectif parce que ce n’est pas la même chose que le lieu soit celui-ci ou celui-là. Effectivement la question est de savoir d’où on parle, de quel lieu. De quel côté on se situe : celui des opprimés ou celui des décideurs, législateurs.
Et la prochaine nuit on la passe où ?
Qu’on me comprenne bien : il n’est pas question de jeter la pierre à la municipalité qui fait visiblement ce qui est en son pouvoir pour alerter la préfecture. Il n’est pas question de mettre en doute sa bonne volonté ni l’utilité des démarches par elle entreprises. Cependant, qui, au final, prend la responsabilité d’héberger les familles sur le carreau la prochaine nuit ? Les membres du collectif. N’y a t-il donc personne pour les décharger de cette responsabilité énorme ? Mais également n’y a t-il pas de lieux qui pourraient permettre un hébergement en attendant que la situation se débloque ? Et encore, n’y a t-il pas des gens qui pourraient prendre en charge les démarches effectuées au quotidien par les membres du Collectif ?
Aucune aide immédiate avec une prise en charge des familles n’arrive. Des mots, oui. Beaucoup de mots encourageants, bienveillants mais la prochaine nuit on la passe où ? Ce sont les membres du Collectif qui doivent subvenir à toutes les défaillances sociales en attendant, peut-être, mieux… Bien sûr on peut regretter que tel ou tel partenaire ne joue pas son rôle mais chaque nuit ce sont les membres du collectif – des enseignant-es, des parents d’élèves – qui doivent veiller à ce que des enfants et leurs parents puissent dormir dans un lit.
Parmi les « partenaires » (ici la municipalité, la préfecture, la DSDEN) qui travaillent en « étroite collaboration » aucune voix ne s’élève pour dire : « Je prends cette responsabilité qui m’incombe plus qu’à vous. » La misère doit elle-même prendre en charge la misère en attendant une hypothétique résolution administrative entre toutes les parties qui parlent de tout : moyens, autorisations, légalité, responsabilité mais pas de la prochaine nuit qui vient juste à la tombée du jour. Il manque simplement l’essentiel. Comment nommer une société dans laquelle les personnes les plus démunies ne peuvent être prises en charge que par des citoyens s’engageant personnellement pendant que les responsables dont c’est le rôle se renvoient la responsabilité du problème et du manque de solution immédiate ? Une société perdue dans des données économiques, légales, des compétences partagées entre de multiples organismes qui finissent par rendre impossible tout mouvement et faire perdre de vue la notion d’Humanité même ?
L’Humanisme en France n’est plus qu’un fantasme brandi en épouvantail par quelques commentateurs médiatiques réactionnaires, voilà la triste réalité d’aujourd’hui.
Au programme : le respect des êtres humains
La thématique de la privation des droits, nous l’avons déjà dit, est centrale dans la France de Renaissance, le parti du gouvernement minoritaire à l’assemblée nationale mais faisant passer ses réformes par la violence et le non respect des instances démocratiques de notre pays. Non respect légal – précisons-le – mais totalement anti-démocratique. En effet, il semble que quand une décision ne va pas dans le sens désiré il suffit d’activer une carte joker pour pouvoir, malgré tout, arriver à ses fins.
De même, le dédale labyrinthique des compétences, des responsabilités, des impératifs économiques et légaux amène à perdre de vue toutes autres considérations, en premier lieux les plus essentielles, et permet de nourrir ce phénomène de privation de droits toujours accru. Effectivement toutes ces obligations légales arrivent à prendre le dessus sur les droits humains et amènent une violence sociale qui semble sans limites. Pour bloquer toute possibilité de changement, morceler les responsabilités entre « partenaires » aux intérêts et aux objectifs contraires permet d’abstraire les problèmes, de déresponsabiliser les acteurs des décisions et de multiplier les possibilités de blocage.
A l’Assemblée Nationale ce sont des procédures techniques qui ont permis de contourner l’expression démocratique avec l’usage intensif de chausse trappes pour forcer le passage d’une réforme des retraites dont personne ne veut. L’arsenal législatif est suffisamment large pour permettre de piocher dedans les outils qui permettront de ne surtout pas agir. Par exemple, nous avons découvert récemment, outre le déjà célèbre article 49.3, l’article 44.3 pendant les débats parlementaires au Sénat sur la réforme la plus impopulaire et injuste qui soit. A l’école Michelet, le nombre de strates décisionnaires est la meilleure assurance que rien ne change.
Effectivement, il y a toujours un échelon qui permet de bloquer ce qu’on ne souhaite pas voir aboutir sous couvert législatif mais c’est toujours en prenant à rebours les principes de justice et d’égalité, que ce soit en refusant d’entendre la voix d’une très large majorité de français dans le cas de la réforme des retraites ou de faire preuve simplement d’humanité dans le cadre des enfants à la rue alors que la France est signataire de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant et dont l’article 27 stipule ceci :
« 1. Les États parties reconnaissent le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social.
2. C’est aux parents ou autres personnes ayant la charge de l’enfant qu’incombe au premier chef la responsabilité d’assurer, dans les limites de leurs possibilités et de leurs moyens financiers, les conditions de vie nécessaires au développement de l’enfant.
3. Les États parties adoptent les mesures appropriées, compte tenu des conditions nationales et dans la mesure de leurs moyens, pour aider les parents et autres personnes ayant la charge de l’enfant à mettre en œuvre ce droit et offrent, en cas de besoin, une assistance matérielle et des programmes d’appui, notamment en ce qui concerne l’alimentation, le vêtement et le logement. »
Les citoyens se retrouvent donc bien seuls pour faire survivre les valeurs de l’Humanisme dans notre société. L’humain en semble définitivement banni au profit de valeurs supérieures, le transformant en moyen et non plus en fin. En effet, quand la Convention Internationale des Droits de l’Enfant passe au second plan il faut s’interroger sur les valeurs qui priment. En l’espèce cela semble limpide : l’économie, la légalité, les responsabilités. Il faut alors que tous les « partenaires » réussissent à faire taire cette petite voix qui s’immisce jusqu’à leurs oreilles et qui leur dit « et la nuit prochaine ? »