Chronique des luttes (6) : les chantillyonneurs ou les enseignants à l’épreuve du mépris

Le samedi 4 juin, la campagne législative bat son plein à Montargis comme ailleurs en France. Un primo-candidat novice mène campagne sur le marché de Montargis et se fait asperger de crème chantilly. Ah oui, petit détail de l’histoire le candidat en question n’est pas n’importe qui, il s’agit de monsieur Blanquer qui, cinq années durant a été ministre de l’Éducation qui n’est plus vraiment Nationale et les aspergeurs sont deux enseignants d’un collège voisin, Christophe le prof de Techno et Oliver le prof d’Arts Visuels, autrement-dit, deux de ses très nombreuses victimes durant toutes ces années (..)

Quelles actions enseignantes ont marqué les esprits ces dernières années ? A bien y réfléchir il y en a principalement deux que les non enseignants sauront nommer : les bloqueurs de copie de bac qui protestaient contre une réforme d’une puissance destructrice contre le bac national sans précédent et donc les chantillyonneurs qui, entre une élection présidentielle aux relents de fatalité désespérante et une élection législative qui aura vu l’arrivée en force de l’extrême droite dans l’hémicycle, bien aidée pour cela par le président Macron, auront permis à de nombreux enseignants, au milieu d’une apathie syndicale consternante, de dresser une oreille curieuse et même, dans un certain nombre de cas, satisfaite.

L’ampleur prise par ce « chantillyonnage » est à l’image de ce que l’école (c’est-à-dire chaque composante de celle-ci, que ce soit les élèves, les parents, les enseignants, les AESH…) a vécu sous la tutelle de monsieur Blanquer. Y a t-il eu une journée sous le premier mandat Macron sans annonce de monsieur Blanquer ? Sans vidéo ridicule ou il se mettait en scène en train de faire des chifoumis, de faire de la corde à sauter, de taper dans un ballon de football ou autre ? Sans nouveau protocole sanitaire ? Sans déclaration tapageuse et insultante envers les personnels enseignants ? Sans mesures coercitives contre les enseignants pas suffisamment dociles (La loi Blanquer dite « école de la confiance », les mutations « dans l’intérêt du service »…) ? Sans nouveau scandale le frappant (Avenir Lycéen, le protocole sanitaire fait à Ibiza…) ?

Dès lors un événement subi par ce personnage ne pouvait que prendre une importance démesurée du fait que lui a fait subir sans discontinuer pendant cinq ans des flots d’ordres, contre-ordres, injonctions, dénégations interminables et insupportables à des millions de personnes, parents, enfants, enseignants, administratifs, AESH…

Là, le rapport s’inversait, des milliers de personnes avaient leur réplique, leur contre-attaque, leur moment de gloire car c’est toute une profession qui a été « vengée » ainsi, qui a jubilé en découvrant les événements à la télé, à la radio, dans la presse ou sur internet.

Oui mais voilà, dans l’esprit de ce personnage, ainsi que dans celui de celles et ceux qui lui ressemblent, les choses sont simples : il y a ceux qui font subir et ceux qui subissent sans aucune réciprocité possible. Vous avez dit « mépris » ?

J’ai eu Christophe, un des deux aspergeurs, prof de techno, au téléphone pour discuter de tout ça avec lui, du pourquoi, du comment et je l’ai écouté me parler posément, avec force et conviction. Il a évoqué cette violence institutionnelle qui aura duré cinq ans, laissant le ministère exsangue et en crise avec des enseignants épuisés, se sentant profondément méprisés dans leurs besoins, leurs aspirations, leur professionnalisme aussi avec la mise en place d’une hiérarchie de contrôle et des injonctions de plus en plus nombreuses. Blanquer aura tenté de faire passer l’enseignement dans l’âge de la norme, de l’hyper contrôle dont les modèles déjà existants sont le taylorisme et l’élevage en batterie. Des poulets, des voitures ou des enfants ? Qu’importe, la procédure est la même étayée par un propos d’ordre scientifique (Stanislas Dehaene et les neurosciences ayant primauté sur tout !) oublieux du sujet de son étude et des personnes ayant la charge de le réaliser.

Alors que monsieur Blanquer crie au scandale, dénonce l’insupportable violence dont il a été l’objet avec cette aspersion « odieuse » de Chantilly, des millions d’enfants auront subi ses réformes au niveau du bac, de l’orientation post bac, de l’école primaire… Mais lui, dans son esprit ainsi que dans celui de ses semblables d’ailleurs, réforme tandis que ses opposants ne souhaitent que détruire. En bref, la raison éclairée contre les passions destructrices et qu’importe si la raison doit détruire des vies innombrables ainsi que le rappellent les chantillyonneurs dans cette petite vidéo.

 

Ceci amène à ce constat terrible de résignation, que le ministre Blanquer a réussi à imposer dans toutes les têtes. A quoi bon ?

« A un moment on se demande comment se faire entendre dès lors que les moyens traditionnels, les grèves, les manifs sont inefficaces » me confie Christophe. « Comment faire pour briser le mépris ? » C’est l’autre facette de cette violence, celle du mépris. C’est le constat tristement banal que les « riens », dans le monde merveilleux de la macronie, ont le choix entre le mépris pour l’immense majorité d’entre eux, ou, comme lorsque monsieur Blanquer est obligé de baisser les yeux vers des importuns, les accusations de barbarie, de violence, de « non-républicanisme ». D’ailleurs monsieur Blanquer est devenu le grand ordonnateur des brevet de républicanisme de La République En Marche. Alors l’immense majorité d’entre nous se tait, baisse la tête.

Il m’a aussi parlé des implications concrètes de ces théories, des jeunes enseignants en grande difficulté, ayant du mal à faire confiance aux collègues, à s’exprimer car il est difficile de s’ouvrir à des gens qui sont potentiellement des évaluateurs surtout lorsqu’on n’a pas appris que c’était important de le faire, que la force collective était nécessaire dans ce métier, comme dans tant d’autres, pour surmonter les difficultés, pour apprendre, pour faire lien, pour faire sens, pour faire réseau…

Le 5 septembre Christophe et Olivier auront besoin de la présence de leurs collègues à Montargis pour les soutenir. Un préavis de grève court sur le mois de septembre qui permet à celles et ceux qui le souhaitent de poser une journée pour aller au Tribunal de Grande Instance de Montargis à 13h30. Ne laissons pas l’occasion d’afficher notre soutien.

Pour participer à la cagnotte de soutien cliquez ici

Communiqué des profs chantillyonneurs :

PROCÈS de l’enchantillyonnage de Jean-Michel Blanquer

L’audience du tribunal correctionnel aura lieu au

TGI de Montargis, 84 rue du Général Leclerc, le 05 septembre 2022 à 13h30.

Nous, Christophe Vilain et OlivierDecool, serons jugés sur les faits suivants :

« D’avoir à Montargis (Loiret), le 04/06/2022, en tous cas sur le territoire national et depuis temps n’emportant pas prescription, volontairement commis des violences n’ayant pas entraîné d’incapacité de travail, en l’espèce avoir aspergé la victime avec de la chantilly, sur la personne de Monsieur BLANQUER Jean-Michel, avec cette circonstance que les faits ont été commis en réunion. »

Nous vous informons que deux personnalités apporteront leurs témoignages pour notre défense.

Dominique Cau-Bareille est ergonome. Elle est maîtresse de conférences à l’Institut d’Études du Travail de l’université Lyon2. Elle mène des recherches dans le champ de l’enseignement depuis une quinzaine d’années.

Gérard Miller est psychanalyste, professeur émérite des universités, écrivain, réalisateur, acteur de théâtre et de cinéma, ainsi que chroniqueur et éditorialiste à la radio et à la télévision française.

Retrouvez-nous sur Twitter : @profschantilly