« Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? » faisait dire Molière à un père avaricieux dans Les Fourberies de Scapin au sujet de son fils. Ici la galère se nomme Éducation Nationale et elle vogue sur la mer de la précarité entre deux rives tout aussi peu enviables l’une que l’autre(…)
A ma gauche, nous en avons déjà parlé lors d’une précédente chronique, les Listes Complémentaires, formées ayant passé un concours mais a qui on refuse le droit de travailler. A ma droite, les contractuels, que l’on appelle aussi les vacataires, emplois précaires, sans formation, sans concours de recrutement, sans salaire décent mais… exploités par des ministres avaricieux souhaitant des personnels toujours moins coûteux et plus facilement jetables…
J’ai rencontré Olivier, ou plutôt le cri d’Olivier, sur un réseau social, à l’occasion d’une publication dénonçant les conditions dans lesquelles aura lieu la prochaine rentrée scolaire et la destruction du service public d’éducation en cours. Avant de lire son témoignage il faut savoir qu’en 2021 il y avait plus de 100 000 contractuels dans l’Éducation Nationale pour un total de 22 % des personnels contre 14 % 5 ans plus tôt selon les propres chiffres du ministère. Envie de voir la réalité de l’autre rive, celle de la modernité, de l’ubérisation et du travail pour tou-tes ? Lisez ceci :
Sachant la façon dont sont traités les professeurs contractuels par le système et par certains collègues (pas tous heureusement et jamais en face), cette « variable d’ajustement » a de fortes chances de tenir son nom: une variable est par définition volatile, on ne peut jamais être sûr de son maintien.
Par mon exemple personnel, laissez-moi illustrer mon propos. Depuis 2017 que je fais ce « métier » (puisque je suis une variable d’ajustement), je suis ballotté d’établissement en établissement avec des contrats allant de 9h à 22h30 / semaine! Pour chaque nouveau contrat je suis payé en provision sur salaire. En conséquence mes revenus sont fortement fluctuants ce qui vous en conviendrez ne facilite pas les choses.
Une conséquence est que mes fiches de salaire sont bien souvent fausses et rectifiées une fois la déclaration de fin de contrat transmise à pôle emploi. Ce qui m’a valu de me voir réclamer 2800€ de trop perçus! La deuxième conséquence est d’avoir à déclarer aux impôts des revenus annuels variants de plus de dix mille euros d’une année sur l’autre. Je viens donc de perdre cette année une grosse partie de la bourse de mes enfants. La troisième conséquence étant des agios à payer régulièrement quand je ne touche que la moitié de mon salaire en début de contrat (les frais fixes ne bougent pas malheureusement…).
Enfin les textes ne sont pas respectés sur le niveau d’indice de salaire majoré. J’ai trois ans d’ancienneté depuis le mois de décembre et toujours aucune revalorisation alors qu’elle doit se faire au maximum tous les trois ans « sous peine d’être considérée comme une sanction déguisée ».
Tous mes chefs d’établissements ont toujours jugé mon travail très satisfaisant, certains voulant même me garder (proposition faite mais refusée par le rectorat parfois en coupant mon poste pour faire un stagiaire, un BMP et un tzr !).
J’aime ce métier, enseigner a toujours fait partie de mon travail soit comme instructeur militaire, soit comme cadre civil soit dans l’éducation nationale. Mais cette situation me pèse même si je sais qu’en réussissant le capes interne (échec bête à l’oral cette année) la situation s’améliorera.
Je suis donc activement à la recherche d’un poste par dépit. Je ne dois pas être le seul, et cette attrition risque fort de s’accélérer.
Merci de m’avoir lu.
Merci de ton témoignage Olivier, merci de montrer la teneur de l’autre rive, le mépris des personnels, la précarité de la vie économique et sociale. Aucune possibilité d’anticiper quoi que ce soit, aucun moyen de contrôler ce qui se passe ou ce qui se passera. La première mission qui se passe moins bien peut être la dernière car, si les chefs d’établissement n’ont aucun contrôle positif pour garder des contractuels qui « font l’affaire » ils ont par contre tout le loisir de faire remonter les problèmes et alors le téléphone ne sonnera plus.
En discutant avec Olivier autour de cette chronique que je voulais construire avec lui il a éprouvé le besoin de préciser ce que sa situation de vacataire avait de précaire :
On en rajoute une couche sur la façon dont on est traité : les contrats sont souvent courts et avec interruptions (quelques jours à quelques semaines). Le tout sans visibilité bien entendu. Je viens de solliciter les services sociaux car j’ai un trop perçu a rembourser à pôle emploi car les salaires que j’avais déclaré ne correspondaient pas au déclaratif final du rectorat (qui a lissé les hsa ce que je ne savais pas, ante-daté des salaires versés au mois n mais correspondant au mois n-2 ou 3… Donc mon trop perçu vient en grande partie de l’illisibilité des fiches de salaires et pour prétendre à une aide il me faut un contrat supérieur à 6 mois ou sans interruption mais je suis tributaire de la DPE et de ce qu’elle daigne m’accorder, souvent deux ou trois mois!
Dans ces conditions, obtenir un crédit, payer les études des enfants, planifier des vacances et tout simplement anticiper sur des envies, des besoins est très compliqué. Du jour au lendemain tout peut s’arrêter, s’effondrer. Plus rien de se qui se passe dans le temps long n’est accessible ce qui n’est finalement que la normalité pour toutes les victimes de l’ubérisation du travail qui se sont trouvés contraintes de traverser la rue avec leur smartphone, leur vélo, leurs mollets et aucun moyen de contester quoi que ce soit car faire appel à un syndicat revient à se rayer des listes des employables…