Chronique des luttes (11) : orthographe vs carte scolaire

Le ministre de l’Éducation Nationale est un homme extrêmement préoccupé. En effet, la baisse de niveau en orthographe le soucie quotidiennement, ce qui est bien naturel quand on est le ministre. L’Action Populaire Amboise se propose d’aider ce brave homme plein de bonne volonté, le tout pour un prix modique comparé aux tarifs de McKinsay…

Lors du passage de relais Blanquer - N'Diaye à Grenelle en 2022.
Changer sans rien changer…

vous trouverez tous les liens qui ont permis d’écrire cet article à la fin de celui-ci

La loi de l’apesanteur est dure mais c’est la loi

Ah, ce fameux niveau qui baisse… Que de réformes en son nom, que de tapage de poing sur la table, que de belles paroles emplies de toute la bonne volonté apparente du monde. Monsieur Ndiaye est face à une situation bien inextricable.

L’exercice est en effet vieux comme le monde ou plus exactement vieux comme le désir de justifier des actions qui seraient difficilement compréhensibles sans cela. En effet si une attente n’est pas créée, comment justifier un changement ? On ne change pas ce qui marche mais uniquement ce qui ne marche pas. Voilà qui fait que le niveau est censé, selon des indicateurs parfois flous, obscurs ou carrément rétrogrades, baisser de façon continuelle. On a les indicateurs que l’on se choisit et il est aisé de trouver des indicateurs haussiers. En effet, depuis les années quatre-vingt, je l’affirme haut et fort, le niveau en informatique des élèves est en hausse, ainsi que le niveau en anglais .

un néandertalien critique l'enseignement de la taille de silex.
Néander aussi a ses propres critères de jugement

« Mauvaise foi, diront certain-es, ces enseignements n’existaient pas dans les années quatre-vingt ! » Effectivement, c’est la raison pour laquelle ces indicateurs peuvent être qualifiés de modernes alors que l’indicateur se fiant sur une dictée qui avait cours il y a quarante années peut-être qualifié d’archaïque puisqu’on prend comme point de départ ce qui avait cours avant dans ce cas-ci et ce qui a cours maintenant dans ce cas-là.

Autrement dit, nous sommes face à la création d’une attente (« le niveau d’orthographe baisse ») totalement passéiste censée justifier des changements qui eux sont réels et nécessaires afin de garantir la réussite de tous les élèves. Finalement comment changer les choses avec des recettes du passé ? D’ailleurs, puisqu’on en parle, ces recettes ont-elles jamais été plébiscitées et ont-elles jamais fait la preuve de leur pertinence ? Ceci reste à voir…

La révolution orthographique en marche

Monsieur Ndiaye sacrifie donc à un exercice obligatoire qui a prouvé son extrême inefficacité avec les années.

Au vingt-et-unième siècle c’est ainsi François Fillon en 2004, Luc Châtel en 2012, Najat Vallaud-Belkacem en 2015, Jean-Michel Blanquer, de funeste mémoire, en 2017 puis donc Pap Ndiaye aujourd’hui qui formulent les mêmes recommandations. Si le niveau continue de baisser malgré les précieuses recommandations des uns et des autres il doit bien y avoir une raison, non ? La simple surdité des enseignants serait une raison suffisante ?

En fait il se trouve que la dictée quotidienne fait l’unanimité des professionnels contre elle. Il s’agit en fait d’un exercice peu adapté et peu efficace pour progresser en orthographe ainsi que le rappelle le pédagogue moderne Jules Ferry. Oui, oui, Jules Ferry, le monsieur de l’école « laïque, obligatoire et gratuite » du dix-neuvième siècle ainsi qu’on nous le présente toujours aujourd’hui…

A la dictée – à l’abus de la dictée – il faut substituer un enseignement plus libre […]. C’est une bonne chose assurément que d’apprendre l’orthographe. Mais il y a deux parts à faire dans ce savoir éminemment français : qu’on soit mis au courant des règles fondamentales ; mais épargnons ce temps si précieux qu’on dépense trop souvent dans les vétilles de l’orthographe, dans les pièges de la dictée, qui font de cet exercice une manière de tour de force et une espèce de casse-tête chinois

En fait dès cette époque l’exercice était loin de faire l’unanimité et autant dire que les choses ne se sont pas arrangées depuis. Voici par exemple ce qu’en dit Catherine Chabrun :

La dictée réduit l’orthographe à un exercice, au lieu de la présenter aux élèves comme un moyen de produire un écrit lisible et respectueux des mots et des règles. D’ailleurs, c’est tout l’écrit qui est présenté comme un exercice : copie, rédaction… sont aussi ordonnées, exécutées puis notées.

Nous pourrions ainsi multiplier les exemples, du dix-neuvième siècle à aujourd’hui, de témoignages de pédagogues démontrant le peu d’intérêt d’un exercice déconnecté de toute situation d’écriture réelle et ne permettant donc pas aux élèves de progresser. Nous ne le ferons pas parce que nous sommes constructifs à l’Action Populaire Amboise ! Notre objectif : permettre à monsieur Ndiaye de relever le niveau grâce à des leviers un peu plus efficaces.

Le dieu Dictée et ses adorateurs
Un dessin de Jacques Risso

La démographie à la rescousse d’un ministre aux abois…

L’Action Populaire Amboise a bien réfléchi à la question et après un long temps à se triturer les méninges dans tous les sens une idée géniale, digne de McKinsey mais moins chère, a émergé. « Hey mais au fait, puisqu’il y a une baisse démographique y’aurait pas un truc à faire avec le nombre d’élèves par enseignant ? »

Encore quelques temps après la lumière nous apparut : à effectifs enseignants constants la crise de surpopulation scolaire française pouvait se résorber en quelques années. Même nombre d’enseignants mais nombre d’élèves en baisse, pas besoin de payer 500 millions d’euros pour comprendre que cela impliquait une baisse automatique du nombre d’élèves par enseignant.

Alors monsieur Ndiaye prêt à surpasser vos prédécesseurs et à enfin en finir avec la baisse de niveau ? Prêt à vous présenter face à la postérité comme le ministre qui a vaincu le phénix de l’échec scolaire ? Grâce aux cerveaux en effervescence des membres de l’Action Populaire Amboise vous résolvez enfin une crise interminable. Nous de notre côté nous avons bien mérité ne serait-ce qu’un pour cent de la somme versée à McKinsey. Ceci nous suffira pour louer une salle pendant quelques années afin de pouvoir nous réunir en toute simplicité, on en demande pas plus…

orthographe vs carte scolaire : victoire par ko

Malheureusement quelques jours après les tonitruantes annonces d’un Pap Ndiaye prêt à en découdre avec la baisse de niveau en engageant toutes les forces vives de l’Éducation Nationale, c’est la douche froide. La carte scolaire publiée est sans appel. Au niveau national c’est une hécatombe, partout le même constat, les élus locaux sont groggy, les syndicats atterrés. Il s’agit d’une véritable saignée.

Sur l’Indre-et-Loire pas moins de de 67 classes sont sous la menace d’une fermeture alors que seules 21 devraient être ouvertes. Le ratio est donc de 46 fermetures pour 403 élèves en moins. Le seuil de fermeture est à 24 élèves par classe alors que la moyenne par classe est actuellement à 22 élèves, ce qui fait des classes primaires françaises les plus chargées d’Europe (par comparaison l’Allemagne est à 21 élèves par classe en moyenne, la Finlande, modèle de réussite, à 18 et la Pologne à 16)

Concrètement certaines écoles avec 19 élèves par classe risquent une fermeture l’an prochain pour la perte de quelques élèves faisant que les classes restantes seront à 23 de moyenne, changeant radicalement les conditions d’enseignement. Chaque enseignant sait ce que cela signifie pour les élèves qu’il aura l’an prochain : une perte de qualité de travail considérable et la perpétuation de classes surchargées. Les parents dont les enfants ont des difficultés savent que l’enseignant sera moins disponible.

A l’heure du bilan

Mais alors, que pèsent les recommandations de monsieur Ndiaye face à des classes surchargées qui amènent forcément un renforcement des inégalités puisque l’élève qui ne réussira pas à comprendre rapidement sera condamné à attendre une hypothétique aide de l’enseignant-e qui ne viendra pas toujours ?

L’objectif n’est pas de résorber la situation de surpopulation dans les classes pour améliorer les conditions d’apprentissages des élèves mais au contraire de dégrader encore les conditions d’enseignement.

Et puis le plus grave monsieur Ndiaye, c’est le mépris qui transpire de cet enfumage à la dictée car c’est bien de cela qu’il s’agit. La prochaine fois, ce n’est pas McKinsey qu’il faudra payer à prix d’or mais l’Action Populaire Amboise qui vous expliquera volontiers lors d’une de ses AG comment faire en sorte que chacun puisse se sentir heureux dans l’institution scolaire, reconnu, accepté, écouté parce que vous et vos prédécesseurs, notamment monsieur Blanquer dont vous suivez les traces, n’avez pas encore réussi à détruire tout esprit de lutte contre l’absurdité et le mépris de vos préconisations…

Manifestante lors des grandes manifestations du 19 janvier
C’est vrai que la dictée peut-être un exercice fort utile…

 

Liens

La liste des adorateurs de l’orthographe est visible en cliquant ici.

Découvrir l’idée que Jules Ferry se faisait l’enseignement de l’orthographe en cliquant ici.

Pour savoir comment faire progresser les élèves en orthographe selon Catherine Chabrun à lire ici.

Au sujet de la baisse du nombre de naissances par an en France, cliquer ici.

Sur la baisse du nombre d’élèves mise en avant par le ministère pour justifier des suppressions de postes, cliquer ici.

Concernant le nombre d’élèves par classe dans les pays européens, cliquer ici.

Une synthèse de toutes ces données faite par Philippe Watrelot en cliquant ici.

Les suppressions de postes dans l’Education Nationale pour la rentrée 2023 sont consultables ici.

Les chiffres de la carte scolaire en Indre-et-Loire sont visibles ici.

Découvrir comment sont maltraités les vacataires en cliquant ici.

Le mépris dont sont victimes les enseignants expliqué par les chantillyonneurs, c’est par ici.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *